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Lignes de fuites et d’horizon

La collection, un héritage somme toute récent, s’est construite à partir de 1984 selon une distinction entre œuvres photographiques et œuvres dites plastiques, les premières devant former la collection d’un Centre photographique à Metz (John Coplans, Patrick Faigenbaum, Joël-Peter Witkin…), les secondes étant conservées par le Musée départemental d’art ancien et contemporain des Vosges (Daniel Buren, Niele Toroni, Frank Stella, Sigmar Polke…).

En outre, la volonté de soutenir la création française et plus particulièrement régionale a déterminé l’acquisition, à la même époque, de nombreux artistes travaillant en Lorraine (Bertrand Gadenne, Bertholin, Étienne Pressager…), avec une forte représentation de la peinture, aujourd’hui en dépôt au Musée Pierre Noël de Saint-Dié-des-Vosges.

Entre 1992 et 2000, de nombreuses œuvres sont venues rééquilibrer les tendances de la première époque : œuvres en volume (Basserode, Thomas Huber, Wim Delvoye, Pascal Convert…), oeuvres en extérieur (Tania Mouraud, Thomas Hirschhorn, Jan Fabre), œuvres vidéos (Philippe Parreno, Douglas Gordon, Pierre Bismuth…).
L’héritage conceptuel et minimal fut par ailleurs assez largement représenté durant cette phase, avec l’achat de pièces de Claude Rutault, Élisabeth Ballet, Didier Vermeiren, Peter Downsbrough.

En proposant l’acquisition d’œuvres protocolaires et performatives cette collection tente à partir des années 2000 de revendiquer le peu de place laissée aux pratiques éphémères, privilégiant ainsi des œuvres qui puisent leur force dans la suggestion plutôt que dans la monstration. A partir de 2004, les oeuvres proposées « de manière permanente » aux visiteurs dans l’auguste bâtiment médiéval rebaptisé 49 Nord 6 Est se présentent sous la forme d’un parcours entre le matériel et l’immatériel, la réalité et sa mise en fiction. Le travail de signalétique, conçu par les graphistes Nik Thoenen et Maia Gusberti, à l’occasion d’une commande publique, témoigne d’une réflexion sur la pérennité des œuvres et des structures qui les accueillent (liste des artistes de la collection sur le mur extérieur destinée à disparaître).

Dans cette idée de remise en question du rôle pérenne de l’institution une webcam mis en place par Dora Garcia surveille une salle d’exposition du Frac, 24h sur 24 et sept jours sur sept. Les images sont diffusées en direct sur un site internet. Cette pièce, conçue pour fonctionner « pour toujours », pose les questions suivantes : que signifie « pour toujours » à l’échelle de vie et d’envie d’une artiste, d’une institution et d’une œuvre d’art? Et d’ailleurs : qu’est-ce que le temps ? La grande question de Ian Wilson (pièce orale de 1982).

Décosterd et Rahm, architectes de l’immanence, ont ajouté à la peinture qui recouvre les murs des salles d’exposition quelques gouttes de gingembre, connu pour ses vertus érotiques, afin d’éveiller les sens du visiteur. Cette peinture inodore agit comme un placebo, c’est ici la croyance et la disposition d’esprit du visiteur qui feront toute la différence. Isabelle Krieg, en réalisant des mappemondes disséminées dans l’enceinte du Frac, attire notre attention sur les détails d’un espace quotidien que l’on tend à ne plus voir. Guère plus visible, la peinture murale monumentale de Tania Mouraud, ne peut se voir que du sommet de la tour du Frac. Elle s’insère dans le panorama urbain et souligne la volonté du Frac de ne pas cantonner l’art à l’intérieur de ses murs mais de le penser comme une force éclatée, vouée à se disséminer dans l’espace public. Lors de son installation dans l’Hôtel Saint-Livier, le plus vieil édifice civil de la ville de Metz, le Frac a confié à Thierry Hesse, écrivain, la réalisation d’un « historique officiel » du bâtiment. Placé sous l’égide de la création, il fourmille d’anecdotes, d’interprétations et de faits avérés qui peuvent être vrais ou pas… C’est également l’histoire patrimoniale de la ville que Dector & Dupuy nous relate dans leurs visites guidées, cependant ils l’agrémentent de toutes autres hypothèses élaborées à partir de griffonnages, de traces urbaines. C’est la grande et la petite histoire qui s’entrechoquent avec poésie et humour.

Que reste-t-il à une institution lorsqu’elle achète pour sa collection des formes d’art vivant ? Au delà des traces matérielles, l’œuvre existe surtout dans la mémoire des spectateurs qui l’ont vue et la transmettront par voix orale. Cette transmission est au cœur de la pièce de Nina Beier & Marie Lund, L’Empreinte. Pour cette intervention, les médiateurs ont la tâche de restituer un récit entendu une seule fois, à propos d’œuvres ayant pu être présentées. Le travail de mémoire est alors en œuvre dans son processus de perte et de transformation des informations originelles. Une autre histoire se construit. Enfin Mario García Torres propose un simple titre dans une liste d’œuvres. Sa Pièce manquante correspond potentiellement à toutes les œuvres passées, présentes et futures ; celle que l’on désire et celle qui manque à toutes les collections : le chef-d’œuvre ?

Mais, malgré les déclarations d’intention et autres revendications, une collection est le reflet d’un instant «t» autour d’une pensée toute prête à être remise en cause. Elle sera toujours en devenir, la finitude est son dessein et son in-accomplissement.