Julien Loustau
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Né en 1971 à Biarritz (FR). Vit et travaille à Paris (FR)
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Sub
2006
Vidéo couleur et sonore durée : 46' Acquisition: 2008 |
Le film commence comme un récit trop beau, trop allégorique pour être vrai. Le lac Vostok, en Antarctique, est une immense poche d’eau capturée sous une épaisse couche de glace depuis des millions d’années. Il serait l’endroit le plus pur du monde, dont l’écosystème archaïque pourrait renfermer des formes de vie alternatives. Mais on ne le saura peut-être jamais. Les scientifiques, tentés de l’explorer, se l’interdisent, puisque pénétrer cet espace le contaminerait et altérerait immédiatement son équilibre supposé. Le dilemme entre accroissement de la connaissance et souci de conservation est ici sans issue : le lac reste un lieu de fantasme et de spéculations. Plus “pur”, conséquemment, qu’on ne pourrait même le concevoir. Sur les images floues d’un point lumineux flottant dans l’obscurité, la voix égrène ces données brutes, sans aucun commentaire superflu. Le ton employé, factuel et solennel, aiguise le caractère irréel du propos. Mais tout ce qui est raconté ici est rigoureusement exact : Sub est un documentaire poétique, à la fois précis et improbable, formellement simple et intellectuellement complexe, sur un paradoxe scientifique réel. La forme même du film bat au rythme de son sujet, l’abstraction de l’image faisant écho à celle de la situation narrée, dont l’aspect fantastique et vertigineux apparaît peu à peu, tandis que parallèlement, le regard s’habitue progressivement à cette obscurité et commence à la dompter. Ce que le film aborde, à travers cette situation spécifique, c’est d’abord l’idée d’une altérité idéale, inaccessible, non plus céleste mais juste au-dessous de nous. Infra plutôt qu’extra terrestre. L’inconnu presque immédiat. Les images, qui s’avèrent être un travelling nocturne le long d’un fleuve, sont sombres jusqu’au monochrome, glaciales et anesthésiées, reconstituant l’expérience autiste et “anti-sensorielle” d’un potentiel explorateur du lac Vostok, une sorte de robot mécanique développé par la NASA qui pourrait forer dans la glace en refermant son passage derrière lui. Machine sourde et aveugle. Les images sont tournées sur le fleuve Yangtze en Chine ? Qu’importe, tant il n’y a pas d’image juste, ici. Rien à montrer. Rien à sentir. Tout n’est que distance. Projection. Ailleurs absolu. Plus profondément, le film effleure la notion de l’ineffable, l’expérience aporétique, à la fois concevable et impossible. Quand l’observation anéantit l’observation. La connaissance auto-cannibale. Une réalité qui s’évapore en même temps qu’on la pénètre, comme dans la fameuse scène de Roma de Fellini, où le percement du métropolitain expose les fresques somptueuses d’une villa romaine à une désagrégation immédiate. Alors, fantasme, vertige. Car l’hermétisme attise la curiosité, suscite la frustration en libérant l’imaginaire. Ce type de mécanisme “nul si découvert” se retrouve autant dans des configurations scientifiques et philosophiques que poétiques et artistiques. On pense à la “figuration d’un possible” de Marcel Duchamp, au “Quel vin est aussi pétillant, parfumé, enivrant, que l’infini des possibles” de Kierkegaard, au Freud de la frustration comme moteur du désir, etc. Une tentation de l’expérience impossible et de la transcendance radicale que l’on retrouve dans les investigations aporétiques de penseurs comme Jacques Derrida, Maurice Blanchot, Emmanuel Levinas ou François Laruelle, autour de notions comme la nuit, le neutre, le dehors, comme tentatives de décrire l’ineffable. Dès lors, le lac Vostok, sublime absence, idéale et inaccessible, impénétrable et fascinante, pourrait même être une métaphore de l’art. Bon voyage. Bonne nuit. Guillaume Désanges |
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