Jeppe Hein
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Né en 1974 à Copenhague (DK)
Vit et travaille à Copenhague (DK) et Berlin (DE) |
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Changing Space
2003
Installation Mur mobile Dimensions variables Acquisition: 2004 |
Dans son étonnant roman House of Leaves, l’écrivain Mark Danielewski1 propose un angoissant parcours au cœur d’une étrange maison dont les murs ne cessent de bouger. Au fur et à mesure que l’histoire se déroule, que des cloisons s’élèvent et que l’intérieur de la maison grandit ou rétrécit anormalement, le texte se réduit, se distend, se reporte… l’espace de la page devient le pendant matériel du récit. Une expérimentation faite de notes, de jeux de typographies, de mise en page… qui renvoie le vertige de l’histoire à l’«objet livre» devenu lui-même une sorte de labyrinthe in(dé)fini. House of Leaves bouleverse la page blanche comme Changing Space déstructure le White Cube. En entrant dans la salle d’exposition qui accueille l’installation de Jeppe Hein, c’est d’abord l’espace vide et blanc qui apparaît. Et tandis que le regard fouille avec expectative cet endroit nu, tentant de contredire ce vide par l’indice d’une infime présence, une inhabituelle sensation fait peu à peu surface. Un mouvement devient de plus en plus évident, celui presque imperceptible d’un des murs de la salle qui avance ou recule et redéfinit constamment le territoire du regardeur. Indépendamment de lui, l’œuvre s’anime, semblant réaliser ainsi ce vœu de l’autonomie artistique pure. L’installation, pourtant, est une dépendance de l’architecture mais ici elle subsume l’espace à son langage plastique. Contenant et contenu se croisent jusqu’à se confondre. Le travail de Jeppe Hein est intimement lié à l’art minimal et s’y réfère ouvertement, convoquant son esthétique et ses préceptes. Une somme de références que l’artiste bouscule, exacerbe et rétrocède avec humour. Ainsi, Changing Space joue avec le processus d’implication du spectateur vis-à-vis de l’œuvre et son espace. Elle est une application décalée de cette volonté «de présence brute qui imposerait le silence pour mieux agir physiquement et intellectuellement sur le spectateur»2, une interprétation radicale de la «théâtralité minimale» décrite par le critique Michael Fried3. L’œuvre dépasse les limites de sa scène et s’approprie concrètement le fauteuil d’orchestre du spectateur. Prenant acte de la disparition de l’espace public au profit de l’espace privé, elle déstabilise l’équilibre des rapports qu’elle entretient avec le regardeur et avec son propre cadre, le White Cube. Cet espace, qui dès son origine avait pour fonction de garantir une autonomie, a progressivement altéré la définition même de l’œuvre. Libérant l’objet d’art de toute valeur d’usage, le White Cube l’a pourvu en retour d’une puissante valeur d’échange (accentuant son caractère de marchandise culturelle). Dans Inside the White Cube: Notes on the Gallery Space, le critique Brian O’Doherty relève que l’histoire du modernisme est devenue indissociable de cette boîte blanche : «Nous en sommes arrivés au point où ce que l’on voit d’abord, ce n’est pas l’art mais l’espace (éjaculer dans l’espace en pénétrant dans la galerie restera un cliché pour notre époque). Ce qui nous vient d’abord à l’esprit, c’est l’image d’un espace blanc idéal et qui, plus que n’importe quelle œuvre, restera peut-être l’image archétypale de l’art du XXe siècle.»4 Changing Space s’affirme alors comme une réappropriation. Utilisant les codes architecturaux du White Cube, Jeppe Hein propose de soustraire l’espace jusqu’à l’annuler, il contraint ou autorise la «pénétration» et au prix de la présence du spectateur, redonne à l’œuvre son autorité.
1 Mark Z. Danielewski, House of Leaves, Pantheon Book Inc., N.Y., 2000. Parution en français, La Maison des feuilles, Denoël, Paris, 2002. 2 Ghislain Mollet-Viéville, Art minimal et conceptuel, Skira, Genève, 1995. 3 Michael Fried, «Art and Objecthood», in Artforum, New York, juin 1967. 4 Brian O’ Doherty, «Inside the White Cube: Notes on the Gallery Space», in Artforum, New York, 1976. |
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