Slow Object 05
2004
Vidéo couleur, non sonore
durée : 1'12''
Acquisition: 2008
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Transposition poétique d’un niveau à bulle, Slow Objet 05 (2004) montre le lent déplacement d’une goutte d’air dans un volume de lait enfermé dans une petite boîte en plastique transparent. Cette vidéo appartenant à la série « Slow Object » entamée en 1997 révèle toute la dimension poétique et minimaliste de l’œuvre d’Edith Dekyndt. Tel un savant fou au génie incompris, l’artiste invente des instruments de mesure sensible dont l’utilité se conte dans la féérie d’un quotidien décalé. Cette dimension fabuleuse, caractéristique de la démarche, entend lever le voile sur une réalité fantasmée, où les choses inanimées prennent vie, comme le proposait déjà Slow Object 01 (1997), une vidéo montrant le mouvement fantomatique d’un tissu posé sur une cheminée du château de Chambord.
L’air de rien, Dekyndt nous propose de réfléchir sur la nécessité paradoxale de la fragilité dans la construction d’un monde solide et résistant. À y réfléchir, quoi de plus ténu qu’un niveau à bulle – une bulle d’air dans de l’eau mais qui cependant emprisonnée dans un cadre de métal permet l’édification d’immeubles gigantesques. Aussi se surprend-t-on à repenser le monde avec une infinie liberté, décelant en toute chose « inconsistante » la potentialité d’accomplir de grands desseins. On aurait tôt fait de penser que l’œuvre de Dekyndt incline sa lecture et son interprétation vers une philosophie zen, faisant l’éloge du peu et démontrant toute la magnificence du rien et du vide, vecteurs de forces invisibles et cependant agissantes dans la matérialité qui domine le monde. C’est l’un des axes de lecture mais qui ne s’impose pas. En effet, l’œuvre admet une lecture plus terre à terre, objective et rationnelle, toute aussi pertinente. À ce sujet, il est intéressant à plus d’un titre de relire Gaston Bachelard pour saisir la teneur de l’œuvre de Dekyndt car le philosophe est l’une des figures essentielles qui depuis le royaume des sciences a investigué l’esprit artistique qui l’animait. Produisant une somme de connaissances atypiques, se penchant successivement sur l’étude des éléments naturels (le feu, l’eau, l’air et la terre), Bachelard a connu l’époque de grands bouleversements scientifiques, parmi lesquels la découverte des ondes électromagnétiques (Hertz, 1886), des rayons X (Roentgen, 1895), du radium (Pierre et Marie Curie, 1898), de la théorie de la relativité restreinte (Einstein, 1905), de la désintégration de l’atome (Rutherford, 1918), de la mécanique quantique (Heisenberg, 1924).
Incitant volontairement à sa lecture plurielle, l’œuvre de Dekyndt continue de contrarier toute réification théorique, qui en limiterait sa portée. Non qu’elle oppose quelque modèle de résistance classique mais elle ploie, se contorsionne, glissant tel un serpent de lumière sous chacune des tentatives critiques. Objet de tentation, elle échappe et éclaire le monde. Sans y ajouter d’artifice mais en le regardant au plus près, Dekyndt « hausse le réel d’un ton » et permet que se produise cette « catharsis intellectuelle et affective » dont parlait Gaston Bachelard face aux savoirs.
Cécilia Bezzan
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