MUHKA, Anvers
1997
Installation
Brouillard artificiel
Dimensions variables
Acquisition: 1997
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Décrire MUHKA, Anvers d’Ann Veronica Janssens, c’est tenter le pari impossible de rendre compte d’une expérience singulière d’ordre psycho-sensorielle de l’espace et de la lumière mais c’est aussi convoquer les principales questions que l’art contemporain pose au musée et au visiteur devenu acteur.
Pénétrer dans un espace blanc cotonneux où la visibilité est restreinte à quelques centimètres puis se déplacer avec moult précautions dans un lieu devenu inconnu et sans limite, c’est faire l’expérience très personnelle de la question du déplacement, du temps et de la perception corporelle et non uniquement visuelle. Lorsque l’espace devient sans fin, de plus en plus abstrait, tel un espace fantomatique où les systèmes de reconnaissance ne sont pas immédiats, «la perte de repère» est au rendez-vous. Dans ce «labyrinthe» sensuel, la limite entre le voir et le toucher se dilue et l’expérimentation prend le pas sur la prétendue connaissance visuelle. L’œuvre se confond alors avec une exploration d’un espace architectural sans limite, à l’aide d’un corps aux sens exacerbés, notamment l’ouïe. Le son y est en effet convoqué de manière totalement contextuelle. Reprenant les bruits extérieurs, il signale le réel dans cette épaisse brume artificielle. Fluide et universel tout comme la lumière, le son parachève la mise à l’épreuve du corps en simulant la réalité.
Le travail d’Ann Veronica Janssens ne possède pas l’exclusive de la qualité irreprésentable. Il reprend sans conteste les réflexions entamées depuis les années 1960 par les cinétiques français (notamment François Molnar et le GRAV dès 1960), et les minimalistes américains (on pense à
Steam, 1967, de Robert Morris ou Inert Gas Series, 1969, de Robert Barry) pour lesquels, à la lecture de Merleau-Ponty, la mise à l’épreuve de toute croyance et de tout a priori visuel s’inscrit comme un préalable, l’expérience individuelle comme une nécessité.
De plus, à la même période, la reconsidération de l’objet d’art par la performance n’a fait que conforter «la perception corporelle» de l’espace, en arguant du primat du cheminement et de l’arpentage sur la pensée hiératique. Avec une grande économie de moyens (fluides impalpables, gaz, ondes sonores et lumineuses, éléments aqueux), le travail d’Ann Veronica Janssens ne montre rien mais nous incite à voir. Il résiste aux formes autoritaires de l’architecture conjuguées au masculin, s’immisce et défie l’échelle du temps et de l’espace. Il poursuit par ailleurs la longue tradition de l’histoire de l’art qui veut que l’artiste, en exégète, véhicule les dernières découvertes scientifiques et procure ces moments sublimes et oniriques aux visiteurs.
Béatrice Josse
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