Silent China
2007
Mini DV, vidéo sonore, texte anglais et chinois
durée : 13'12''
Acquisition: 2008
|
C’est à travers le terme de journal d’un usager de l’espace que l’artiste belge Mira Sanders désigne l’ensemble de sa pratique. « Tenter de définir son travail à travers des mots est sans doute une des choses les plus difficiles qui soit, écrit-elle. Mais tenter de définir ce que l’on voit est peut-être plus difficile encore. Le journal d’un usager de l’espace est une phrase qui m’est venue à l’esprit alors que je lisais Espèce d’espace de l’écrivain français George Perec. Le livre de Perec traite de la perception de notre vie quotidienne, du microcosme au macrocosme, affrontant notre culture; interrogeant notre conditionnement culturel, nos manières de voir, et réalisant que nous sommes peut-être tous victime de notre propre conditionnement culturel. »
D’emblée, cette dénomination annonce à elle-seule la direction d’un travail, elle définit ce qui fonde une œuvre intrinsèquement personnelle et résolument protéiforme. Il y a d’abord un format (bien plus qu’un médium, un usage), un « journal », comme un cahier de notes, l’endroit d’une écriture absolument liée à la vie, à la subjectivité et à l’exercice du monde. Ce qui se joue dans le journal, tient du réel autant que de l’invention d’un territoire. Qu’il mêle les notes, les dessins, les vidéos, les entretiens, les photographies, les captures sonores ou les installations… c’est un monde lié au temps de l’expérience qu’il reconstruit et réexamine. Le journal d’un usager de l’espace désigne une pratique hétérogène dont l’accroche tient en l’interprétation par l’artiste d’un environnement ouvert, d’un espace polysémique à la fois géographique (culturel), sensible (ressenti), social (lié à la rencontre)… Le journal signe invariablement la présence connectée, attentive et réactive de Mira Sanders.
La vidéo Silent China compose un chapitre de ce journal, elle est donc liée à d’autres « pages ». L’œuvre débute avec un voyage en Chine (à Shanghai et Xiamen) ; elle naît alors du sentiment de trouble relatif à la rencontre d’une culture étrangère et d’une langue inconnue. Elle prend sa source dans l’incapacité à produire une image, une photographie ou un film dans un pays où tout paraît échapper à la connaissance. Pour saisir cet environnement nouveau, l’artiste s’en remet alors à ce qu’elle entend, « J’ai écouté, et j’ai visualisé mes observations à travers des dessins et des notes. Essayant de visualiser ce que j’avais entendu mais essayant aussi de comprendre une nouvelle culture et d’explorer les possibilités de ce (son) système. » Traduites graphiquement et présentées sous forme d’éditions ou de dessins, lors de leur monstration à Bruxelles (2006), ces retranscriptions de sons ou de mots décrivant un univers sonore dessinent avec précision un paysage en aveugle.
C’est lors de l’exposition « by this I send you some noise of the city I am in » à Xiamen en janvier 2007, que la vidéo Silent China vient s’articuler à la production d’éditions, de peinture et de dessins composant jusqu’à lors cette expérience de retranscription subjective. Sur un fond noir, qui pourrait paradoxalement convoquer toutes les images par leur absence, défilent les mots écrits et les sons captés. Autant d’indices participant à la mise en œuvre d’un territoire flottant entre l’imaginaire et la réalité pure. En anglais et en chinois, les mêmes énoncés : « Their washing machines sound like the waves of the sea », « The street musician is playing saxophone on the Huahai lu », « Silence is somewhere, lost in history »… Phrase après phrase les contours de ce pays mental se clarifient. Le point de vue tire le fil d’une géographie sensitive qui, se passant de l’autorité des images pour dire le réel, s’en remet au langage pour inviter en chacun la représentation.
Guillaume Mansart
|