Otobong Nkanga est née à Kano au Nigéria, elle vit et travaille aujourd’hui à Anvers, en Belgique. Elle a suivi des études d’art à l’Obafemi Awolowo University d’Ile-Ifé, au Nigéria, et ensuite à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Paris.
Otobong Nkanga est performeuse et plasticienne, travaillant aussi bien le dessin, la sculpture et l’installation que la photographie et la vidéo. Sa pratique s’attache à la question du paysage et de l’architecture, aux matières premières et aux sites d’où elles proviennent, afin de partir en quête de traces humaines qui puissent attester de modes de vie spécifiques et de problématiques environnementales, politiques et économiques. Les matériaux utilisés, la force de leur présence physique, leur disposition, ce que le corps et sa continuation par le trait du dessin peuvent ajouter de fluidité et de sens, tout cela est exploité dans le travail d’Otobong Nkanga pour nous faire sentir.
Le rapport au corps, l’implication de certains de nos cinq sens lors de la rencontre avec l’œuvre, sont primordiaux dans son travail (par exemple l’odorat dans Anamnesis, 2015). Cette implication de nos sens est supposée nous ramener à notre mémoire, une mémoire moins coordonnée ou conditionnée par la raison que celle que nous utilisons peut-être le plus souvent ; une mémoire instinctive et émotive, puissante.
The Taste of a Stone, 2010, est une œuvre
in situ réalisée à l’occasion d’une exposition de l’artiste, « Make Yourself at Home », à la Kunsthal Charlottenbourg, de Copenhague. L’installation se ressentait en deux temps : dans une première pièce, on pouvait voir différentes pierres, ainsi que des images (des corps humains, divers paysages et des cartographies) et des textes imprimés sur des dalles de craie calcaire blanche placées sur des tablettes en bois. Six tablettes occupaient la pièce, six narrations visuelles qui nous racontaient des fragments d’histoires ; des histoires de frontières, de rejet et de peur, de protection et de destruction. Une mémoire. Ce premier espace était une introduction et une invitation à impliquer son corps tout entier dans l’expérience de la rencontre avec le matériau « pierre » : comment on l’utilise, comment on le touche. L’œuvre invitait aussi au
storytelling, car comment relier entre eux les différents éléments qui nous étaient offerts ? Dans la seconde pièce, on découvrait au sol un gravier noir, et d’imposantes pierres de différentes dimensions, disposées sur un paysage topographique sculpté composé d’agrégat provenant d’oxyde de fer naturel (la magnétite). Des épiphytes (végétaux n’ayant pas besoin de terre pour survivre) étaient placés sur les pierres.
Taste of a Stone était véritablement une expérience de l’espace à travers la matérialité. Un son spécifique était produit en marchant sur le gravier, il était possible de sentir la texture et la rigidité des pierres en s’asseyant dessus. Otobong Nkanga a souhaité créer ce paysage dédié à la contemplation et à la méditation pour nous inviter à sentir le « goût » de la pierre à travers la mobilisation de nos différents sens. Par la vue, le toucher, l’ouïe, ce sont des émotions, des souvenirs et des humeurs qu’elle veut faire rejaillir chez le spectateur ainsi qu’elle le décrit elle-même : « Je considère la plupart des œuvres comme de espaces émotionnels. Regarder, écouter ou goûter quelque chose, expérimenter la suavité ou l’amertume dans votre bouche, ou le passage de l’un à l’autre, c’est une part essentielle de notre vie quotidienne. En se libérant de l’aspect cérébral, l’art devrait toucher l’âme, mobiliser nos émotions et nos sens. »
Eva Barois de Caevel