Latifa Echakhch
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Née en 1974 à El Khnansa (MA)
Vit et travaille à Paris (FR) et Martigny (CH) |
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Gaya (E102) Horizon 3
2010
Colorant alimentaire synthétique Dimensions variables, installation à 1,66 m du sol Acquisition: 2011 |
« Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite, “Le colorant alimentaire Gaya apportera à vos sauces et assaisonnements la couleur de la Méditerranée.” 01 “Tout y est départ, devenir, passage, saut, démon, rapport avec le dehors.” 02 L’installation Gaya (E102) Horizon 3 réalisée en 2010 dans l’exposition monographique de Latifa Echakhch Le rappel des oiseaux au FRAC Champagne-Ardenne donne lieu à de multiples lectures, un jeu intellectuel et sensuel de constructions et de déconstructions. A travers les questions d’identité, de culture et d’histoire, personnelles et collectives, l’artiste explore à sa façon le monde dans tous ses sens avec une très contemporaine “magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur et l’artiste lui-même.” 1. D’origine marocaine mais habitant entre Paris et la Suisse, Latifa Echakhch ne s’identifie pas à la culture arabe et détourne cette part d’exotisme attendue et condescendue sans pour autant renier son histoire personnelle. Gaya (E102) Horizon 3 tire un trait sur le “white cube”, construit dans ce geste discret un nouveau champ de réflexion et dessine une scène de jeux de déplacements au regard du spectateur. Le paysage est à la fois ce qui se voit et ce qui se vit, ici et au-délà. Gaya (102) horizon 3 2 est un dispositif in situ composé d’une ligne marron-pourpre tracée sur tous les murs de sa salle d’exposition à 1m66 du sol. En partie effacée par des projections d’eau, cela dessine le pourtour de la pièce, une ligne panoramique séminale de coulures d’un jus jaune pâle mixé au trait. A première vue, on pense à de la craie sanguine aquarellée, aux pigments mouillés au lieu d’être fixés. On imagine une sorte d’horizon qui pleure. La ligne droite est ici le plus court chemin à une fausse piste. L’horizon est une construction de l’esprit, une figure du paysage, une structure primaire de la représentation, une chimère symbolique. Il cristallise ici un certain nombre des enjeux du travail de Latifa Echakhch. L’horizon est le lieu naturel qui est non-lieu, un vide où bascule le paysage, où l’homme perd de vue le monde, et qu’il se doit de dépasser. Le lyrisme du paysage romantique le montre en symbole de la dualité de l’homme déchiré entre son appartenance à la terre et son rêve d’Icare, le champ de l’existence et le lieu de l’autre et du désir. Dans cette installation se révèle un horizon familier, fuyant et artificiel. La hauteur de 1,66m à l’échelle de l’artiste inscrit la présence d’un corps absent, celui de l’artiste qui aime distiller ses fantômes à travers ses œuvres. Il y a un glissement sémantique et physique entre “colorant” et “couleur”, travail artistique et travail alimentaire, une sorte de “Art Concret de cuisine”. Gaya est une marque marocaine de colorant, qui peut aussi être trouvée dans les épiceries arabes en France, et de fait dans les cuisines de familles comme celle des Echakhch. La substance E102 est une matière non-artistique et un artefact exotique, un colorant alimentaire hydrosoluble souvent utilisé dans des plats populaires orientaux et la cuisine asiatique comme un remplaçant bon marché du safran. Le safran, du fait d’être “l’épice le plus cher du monde”, donne lieu à de nombreux copies et faux tel une œuvre d’art. Insipide, sa copie Gaya E102 est seulement utilisée comme “un effet de style”. Elle colore les plats pour les rendre visuellement plus “apte” à être consommé. La question du jugement esthétique – jugement de goût – est ici un détournement esthétique/cosmétique sur un objet ordinaire. Luc Jeand’heur 0 Charles Baudelaire, Le coucher du soleil romantique, Les Fleurs du Mal, 1857 01 publicité pour Gaya 02 Gilles Deleuze, Claire Parnet, Dialogues, 1996 1 Baudelaire, L’Art philosophique, 1859 2 élément d’une série que l’on pourrait intitulée Gaya E(102) où elle joue aussi les rôles de “vitrail”, trait dessiné à la langue sur une toile, “fontaine”… |
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