Sarkis
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Né en 1938 à Istanbul (TR)
Vit et travaille à Paris (FR) |
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L'arrivée des images
1995
Bois, filtres colorés, spots à découpe Dimensions variables Acquisition: 1996 |
Dans son article Cultural Confinement de 1972 1, Robert Smithson décrit les musées et les galeries comme des lieux de « convalescence esthétique » pour les œuvres qui y perdraient leur « fonction pour ne plus être que de simples objets transportables ». Ce constat l’oblige alors à sortir son art de l’espace muséal pour investir un terrain plus libre et moins cloisonné, la nature. D’autres artistes, plutôt que de repositionner l’art dans de nouveaux territoires, ont choisi d’interroger les conditions de production de l’exposition de l’intérieur afin d’élaborer des alternatives spécifiques. C’est le cas de Sarkis qui, depuis les années 1970, développe une œuvre dans laquelle l’exposition devient une sorte d’espace métaphorique, entre la scène, l’atelier, l’église et le parcours. Attaché à la mémoire, son travail mêle à l’histoire du lieu des souvenirs personnels et dessine ainsi un espace théâtral dans lequel l’universel rejoint le singulier. Par opposition au concept d’utopie (qui est un emplacement idéel sans lieu), Michel Foucault, dans une conférence qu’il donne en 1967 2 définit ces espaces flottants qui paradoxalement intègrent et s’opposent à leur typologie fonctionnelle, sorte de « contre-emplacements », sous le terme d’« hétérotopie », ce qui précisément peut désigner une importante partie de l’œuvre de Sarkis. « L’hétérotopie, écrit Foucault, a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont eux-mêmes incompatibles ». L’arrivée des images que montre Sarkis en 1995 à la Chapelle Buvignier de Verdun répond à cette définition. Si, pour l’occasion, l’artiste a renoncé à l’espace d’exposition traditionnel, tout comme il l’avait fait notamment en 1983-84 pour la célèbre « exposition en travaux » À Pierre et Marie 3 , il parvient néanmoins à conférer à son projet une sorte d’indiscernabilité contextuelle entre le lieu de prières et l’espace de monstration. Dix tables en bois supportent dix fragiles aquarelles dont la couleur pure se mêle à la lumière filtrée par des structures fenêtres posées sur le même plan et dont les carreaux sont également colorés. Disposées dans la nef et dans le chœur de la chapelle, chaque table se présente comme une sorte d’autel qui aurait troqué sa fonction liturgique pour devenir un objet commémorant quelque chose d’inconnu. La mise en scène des œuvres (plutôt que leur display car il y a ici une théâtralité programmée) leur attribue un mystérieux pouvoir appelant la contemplation des images. Et l’œuvre se confond avec l’exposition qui confond elle-même sa fonction à celle de la chapelle tout en la surpassant. En résulte un espace polymorphe indéfini et fluctuant qui s’écrit définitivement comme une hétérotopie. Pour l’artiste, la lumière (élément immatériel et versatile par excellence) constitue la principale matière de ses œuvres. À propos de celles verte, rouge, jaune et bleu de sa pièce I Love my Lulu (1984), Sarkis dit qu’elles doivent provoquer « le sentiment d’une caresse » et c’est bien ce sentiment qui émerge au regard de cette installation quand les rayons lumineux franchissent les filtres de couleur des fenêtres pour venir frôler les aquarelles. « Une lumière ajoutée à une autre en crée une troisième, etc. La lumière ne peut pas se figer » 4, elle accorde alors une vibration vitale qui sans plus d’artifice fait survenir l’image. Mais ne serait-ce pas là la fonction d’une exposition que de faire « arriver les images » ? Guillaume Mansart 1 Robert Smithson, « Cultural Confinement », in Artforum, octobre 1972. 2 Conférence de Michel Foucault au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967, retranscrite sous le titre « Des espaces autres », in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, reproduit dans Dits et écrits, vol.II, Quarto, Gallimard, Paris, 2001 3 A Pierre et Marie, une exposition en travaux avait lieu dans une église au 36 rue d’Ulm à Paris. Le projet qu’il mena la première année avec Daniel Buren, Jean-Hubert Martin, Serman Selvi et Michel Claura dura deux ans. Plus de soixante-dix artistes y participèrent faisant voler en éclat les dogmes de l’exposition. 4 Sarkis, dans « Lexique Sarkis », réponse à une proposition de Christian Bernard, in art press n°222, date. |
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