Despliegue
2001
Installation vidéo, couleur, sonore
Durée : 45'
Acquisition: 2003
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C’est d’abord au sein du champ chorégraphique
que l’artiste espagnole La Ribot s’est distinguée, participant dans les années 1990 à un mouvement de renouvellement de la danse qui revisitait certains codes de la performance (aux côtés, entre autres, de Jérôme Bel, Xavier Leroy ou Alain Buffard). Elle y a développé pour la scène ses «Distinguished Series», suite de brèves saynètes (entre 3 secondes et 7 minutes) exécutées en solo et mettant en jeu son propre corps aux prises avec divers accessoires. Des gestes simples mais radicaux, exécutés selon des protocoles extrêmement variés réinterprétant, souvent avec un humour et une absurdité ravageurs, un souffle d’expérimentation spontané issu du Body Art et du happening historiques. Soit, boire un litre d’eau d’un seul trait. Dessiner sur sa peau en bougeant son corps contre un feutre. Coller des polaroïds de son corps sur soi-même. Hurler debout sur une chaise avant de balancer un poulet déplumé, etc. De fait, l’ambiguïté ontologique de ces gestes questionne pertinemment les catégories admises de l’art. Spectacle vivant ou arts visuels ? Le lieu même de monstration (musées, centres d’arts autant que salles de spectacles), le refus de la frontalité (le public invité à se déplacer ou à prendre place sur le plateau), l’immédiateté spatiale et temporelle de l’action, voire l’économie même du travail (les solos sont à vendre à des collectionneurs) : toutes ces expérimentations fondent une pratique plastique de la danse, qui rejoue l’association entre l’art conceptuel, la performance et la chorégraphie qui, dans les années 1960, regroupait des chorégraphes et des plasticiens autour de la Judson School de New York. Projection au sol, en taille réelle, montrant en plongée l’artiste disposer de nombreux accessoires et exécuter ses mini performances sur fond musical, l’installation vidéo Despliegue est une œuvre complexe qui, au-delà de son aspect performatif, revisite très clairement des traditions picturales modernes et classiques. Une réduction de l’espace scénique à deux dimensions, une toile de «grand format», un fond primaire gris en carton. Plus loin, un jeu de miroir renvoyant à certains jeux représentatifs de la réflexivité (Velásquez, Manet, Renoir), un display de matières assemblés sur la toile (Nouveau Réalisme), un jeu chromatique d’objets manufacturés (Pop Art), voire la cristallisation régulière de l’action en compositions figées comme pour une scène de genre. En contrepoint à ce vaste tableau vivant, la diffusion sur un mini-écran de la même scène prise d’une caméra au poing joue sur la dialectique immanence / transcendance du geste performatif aussi bien qu’elle rappelle les expérimentations sur les points de vue du réel de Dan Graham. Véritable dépliage, comme son nom l’indique, l’installation est le reflet d’une œuvre intuitive, généreuse et proliférante, qui ne s’économise pas. Rétrospective panoramique d’une pratique singulière entre danse, peinture et vidéo, prenant la forme d’un système sculptural en constante expansion.
Guillaume Désanges
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