Sans titre
1996-1997
Photographie couleur, tirage C-Print
75 x 105 cm
Acquisition: 1998
|
Les séries photographiques que constitue Istvan Balogh depuis le début des années 1990 sont à placer sous le régime du doute et du soupçon. L’une d’elles, intitulée
L’Âge de Fer (1992-1997), fait explicitement référence aux Métamorphoses ovidiennes; l’âge de fer, chez Ovide, est la période tourmentée qui succède à la plénitude de l’âge d’or, mais aussi la période où se fonde la communauté humaine. Un début des temps donc, une origine de l’Histoire, qui se bâtit sur une perte, et par là-même engendre une quête infinie du sens. Soigneusement composées et mises en scènes avec des figurants, comme la plupart des œuvres d’Istvan Balogh, les photographies de L’Âge de Fer tendent vers le tableau allégorique, dont chaque détail peut être lu et interprété comme un signe, un indice permettant un cheminement vers une signification qui cependant demeure équivoque. Dans une salle de classe, alors qu’un élève efface le tableau où subsiste le mot «Aufklärung», un de ses condisciples s’avance, poings serrés, vers le bureau du professeur au visage fermé. Rebellion sourde et instinctive contre un système d’interprétation positiviste du monde, à l’instar des Romantiques du Sturm und Drang contre le siècle des Lumières ? Dans une autre image, une femme met la main dans un avatar de «La bouche de la vérité», sculpture à valeur d’oracle qui semble cette fois rester muette. Les photographies d’Istvan Balogh dépeignent, selon l’expression de Jean-Marc Huitorel, «le monde dans sa cruciale expectative», elles semblent souvent enregistrer, non cet instant décisif qui a marqué l’histoire de la photographie, mais l’attente, l’approche d’un signe ou d’un événement qui reste inconnu et imprédictible, un temps de latence teinté d’inquiétude, l’ultime moment où toutes les interprétations restent ouvertes, avant une possible résolution de l’énigme. La série In the meantime (1996-1997), dont le titre utilise l’expression anglaise pour signifier l’intervalle et la simultanéité, le «pendant ce temps…», redouble la complexité des images d’Istvan Balogh. Hétérogènes et polysémiques, les photographies de cette série renvoient à un imaginaire collectif, à un ensemble de réminiscences qui peuvent colmater l’écart entre réel et fiction. L’œuvre acquise par le Frac montre un enfant s’apprêtant à se baigner dans une crique, mais stoppé dans son élan et saisi de stupeur par l’apparition devant lui d’une douzaine d’hommes-grenouilles, avec masque et tuba, et semblant regagner le rivage. Du monstre du Loch Ness au requin des Dents de la mer, en passant par le Nautilus du capitaine Nemo, ce qui surgit de l’opacité des eaux est objet de terreur primordiale, à l’instar des craintes relatives aux monstres qui surgissent de l’obscurité ou aux chiens enragés dans les lieux déserts. Istvan Balogh maintient délibérément son image dans l’indétermination, en-deçà de toute interprétation rassurante, à ce moment précis où le saisissement du personnage coïncide avec «l’impressionnement» du spectateur par l’image.
François Piron
|