Née à Pensacola (US). Vit et travaille à Paris (FR)
2013
Peinture, oeuvre à réaliser à partir d’un protocole.
Dimensions variables, surface minimum 65m2.
Acquisition: 2013
Il y a chez Dominique Ghesquière, dans ce moment avant le geste artistique que sont ses dispositifs, ses sculptures objets minimales, ses discrètes peintures murales, l’expérience simple et commune du monde, des éléments naturels, des objets ordinaires de notre quotidien. Une expérience que l’artiste vit dans une patiente approche du sensible affleurant, nourrie d’une observation précise et lente. Une observation qui déshabille le réel en un acte contemplatif étendu à l’unicité feuilleté du questionnement du comment ; une observation qui saisit les apparences du tout illusoire, pour le découdre en fragments, pour le défaire jusqu’au toucher d’une essence des choses et des formes, des matières et des surfaces. « (…) Je cherche juste à me glisser dans le paysage. Je cherche simplement la précision et le nécessaire (…). Je me sers toujours d’objets qui sont le plus générique possible (…). C’est ce qui me permet d’atteindre un certain degré d’abstraction. » 1 Les œuvres de Dominique Ghesquière ont ainsi la simplicité radicale de leur titre réduit à la nomination de la chose ou de l’objet – tapis (2001), échafaudage (2003), pluie permanente (2003), escabeau (2008), écume (2013)… Mais ce nommé recouvre-t-il la chose, «en une conformité fidèle, à ce que nous montrent les choses elles-mêmes» 2 ? L’artiste trompe cette conformité, elle en déjoue les fonctions par l’utilisation de matériaux non adéquats, fragiles, usés, par l’absence d’élément habituel. Ces objets sculptures sont des doutes. C’est par une image plastique mise en torsion avec l’attendu du réel, tendue entre le semblable mimétique et son déplacement que l’artiste fait revenir à la surface l’essence même des choses. « Obscur se fait nécessairement celui qui ressent très profondément les choses et qui se sent en union intime avec ces choses mêmes. Car la clarté cesse à quelques coudées de la surface», dit Paul Valéry 3 : Dominique Ghesquière est dans ce « savoir » poétique.
Écume , peinture murale protocolaire, inscrit sur le sol de la salle d’exposition, en des tracés sinueux, aléatoires, capricieux, un voile arachnéen de blancheur moirée, minérale et brumeuse. Un tissage d’opacité. Moment d’un paysage marin dessiné dans son essence et dans sa temporalité figées. « Qu’est-ce que l’écume ? » serait encore la question, avant que le regardeur ne se laisse porter par l’écoute de sa propre perception ? Des bulles d’air qui se constituent dans un imperceptible instant, lors du bref arrêt de la vague avant son reflux. Par le support de la matière picturale et l’acte léger de recouvrement du sol, Dominique Ghesquière met en contact deux surfaces, rendant visible le fugace, le fragile, le mouvement passé et répété, rendant au visible la forme d’un phénomène et l’instant étale de sa présence au paysage. Écume est histoires et géographies d’aléatoires et d’instants flottants ; elle « est », dans sa matérialité d’éphémère et de mémoire, l’image plastique poétique devant laquelle nous éprouvons le connu et l’inconnu, la brièveté sans cesse recommencée des temps.
Marjorie Micucci
1 « Conversation avec Dominique Ghesquière et Frédéric Oyharçabal», in Dominique Ghesquière, catalogue monographique, Frac Bourgogne, les Presses du réel, Dijon, 2011.
2 Martin Heidegger, Qu’est-ce qu’une chose ? Coll. Tel, Éditions Gallimard, Paris, 1971.
3 Paul Valéry, Mauvaises Pensées et autres, Éditions Gallimard, Paris, 1942.