Née en 1937 à San Sebastian (ES)
Vit et travaille à Paris (FR)
1987
Installation.
Dimensions variables
Acquisition: 2013
Depuis la fin des années 1960, Esther Ferrer accomplit des actions simples et ordinaires, dépourvues de théâtralité. Insistant sur l’importance de la présence mais aussi de la neutralité, elle s’exécute selon un minimalisme basé dit-elle sur « la rigueur de l’absurde » : l’une de ses premières performances consistera à s’asseoir face au public, sans rien faire d’autre que de le regarder. Bien qu’elle ait d’abord considéré les installations résultant de ses actions comme des cadavres encombrants, l’artiste leur concède aujourd’hui une existence propre. « J’aime bien dire que dans la performance il y a surtout l’action, et dans l’installation la contemplaction, mais dans toutes les deux il y a la situaction (in-situ-action)1. » C’est ainsi qu’avant tout passage à l’acte, Parcourir un carré dans toutes les formes possibles est d’abord apparu sous forme de plans d’action. Des partitions, des schémas, des instructions sonores et des démonstrations vidéo laissés à la disposition du visiteur, invité à accomplir lui-même la performance. Sollicitant l’interprétation libre plutôt que l’épuisement servile de tous les parcours possibles, ces différents « modes d’emploi » n’ont cependant rien de prescriptif.
Soit un carré matérialisé au sol par quatre cubes frappés des lettres A, B, C et D. Soit un corps X – celui de l’artiste ou du visiteur – dont le déplacement rectiligne pourra relier les angles du carré ABCD par ses côtés ou ses diagonales, dans le sens de la marche ou à reculons. Suffisamment imprécises pour autoriser des démarches excentriques, ces indications incitent à composer un parcours unique. L’idée de l’œuvre germe à la fin des années 1970, alors qu’Esther Ferrer s’intéresse aux nombres premiers, ceux qui ne sont divisibles que par 1 ou eux-mêmes. Précision biographique : l’artiste vient d’une famille nombreuse et a une sœur jumelle, ce qui pourrait expliquer sa pratique des ensembles, des suites, et des séries ; son goût pour le multiple et le singulier.
Mais chez Ferrer, la singularité des parcours tient moins des Rêveries du promeneur solitaire que de chemine-ments anonymes et universels. Revendiquée par le passé comme une dérive libératoire ou une errance pro-pice au hasard, la marche devient chez elle une parade négociée dans la contrainte. Le cadre géométrique de Parcourir un carré évacue du corps toute psychologie au profit d’un « raisonnement physique » où se jouent un « vertige combinatoire 2», « un théâtre voué au parcours interminable des formules du possible 3. » L’artiste aurait choisi le carré pour sa banalité. D’autres y ont organisé avant elle des chorégraphies plus désœuvrées, quasi pénitentes : Bruce Nauman s’y balançant au rythme d’un métronome (Square Dance_, 1967-68) ou Samuel Beckett y déplaçant quatre pions humains (_Arena Quad I+II, 1981). Mais chez Ferrer, qui aime affirmer que « Le chemin se fait en marchant », le carré n’a rien d’aliénant. Il ne s’agit pas d’y « tourner en rond », mais bien d’y tenter toutes les manœuvres possibles.
Hélène Meisel
1 Esther Ferrer, « Install-action », Inter Art Actuel, n°74, Quebec.
2 Thierry Davila, « Errare humanum est (remarques sur quelques marcheurs de la fin du XXe siècle) », dans Un siècle d’arpenteurs, les figures de la marche, cat. ex., Paris, Réunion des musées nationaux, 2000, p. 290.
3 Idem.