Né à Tunis(TN) en 1978. Vit et travail à Paris(FR), Lyon(FR) et Tunis(TN).
2007
Vidéo couleur, sonore
Durée: 2'30''
Acquisition: 2012
« Le sursaut de la durée
entonne en lui-même déjà un poème,
il donne une mesure muette,
qui ajoute et libère
et fait battre dans mes veines le pouls d’une épopée. »
Peter Handke, Poème à la durée, Éditions Gallimard, 1987.
Que vient-il au regard dans les intermittences, les retenues et les épuisements d’une goutte d’eau glissant le long d’un fil à coudre (Coulée douce, 2007) ? Que vient-il au regard dans les imperceptibles et réguliers soulèvements d’une autre goutte d’eau, luisante telle une perle translucide, presque parfaite dans sa forme sphérique liquide, et palpitant au léger contact d’un pouls humain (Ligne, 2011) ? Que vient-il au regard dans la rencontre mystérieuse, d’abord floue, imprécise, avec un corps sombre se rapprochant lentement et vers l’œil de la caméra vidéo ? Et des mains simplement et patiemment occupées à enrouler ou à dénouer, dans l’exacte symétrie d’une surface enneigée, un autre fil, noir, connaissant, dans le temps d’avancée de son image vidéographique, toutes les tensions et distensions que ces mêmes mains lui imposent, avec délicatesse et par mégarde (Dénouement, 2011) ? La durée. Le temps même d’un phénomène anodin et de son image. La prégnance et la délicatesse précise du détail qui révèle le visible enfoui, confus, éphémère. La mesure d’une distance d’une vision. Il y a le double et concomitant souvenir du geste pictural et du geste cinématographique dans tout le travail d’Ismaïl Bahri. Et cette expérience, rare, de la lenteur des choses et des gestes mis en situation par de petits dispositifs ou protocoles expérimentaux, qui permettent de voir leur formation dans une présence révélée à l’intérieur des plis et des fêlures démasqués du visible. Cette lenteur qu’il faut, aussi, afin que la forme non seulement advienne à la surface de l’épiderme du monde en autant de micro-événements inattendus, libres, mais également pour qu’elle se fabrique en tant qu’image nouvelle, en tant qu’œuvre possible, à un moment donné. L’expérimentation est, sans nul doute, l’une des propriétés centrales du travail d’Ismaïl Bahri – que ce dernier pratique par le dessin, la photographie, l’installation in situ, et surtout par la vidéo.
Formé à l’Institut des Beaux-Arts de Tunis (1996-2000) et titulaire d’un doctorat en Arts et Sciences de l’Art Paris I-Sorbonne (2002-2005), Ismaïl Bahri situe son travail à la jonction de cette expérimentation, de l’infime et de la relation, au point de contact, de toucher et de diffusion de matières et d’éléments simples et ordinaires : la goutte d’eau (Ligne, Coulée douce, dans l’ensemble des dispositifs affinés et élargis à l’installation par l’artiste depuis la vidéo de 2007), le lait (les dessins de Latence, 2010), l’encre (les photographies de Sang d’encre, ou cette déambulation, dans les rues de Tunis, à travers l’« écran » noir d’une encre captatrice de morceaux d’images et de lumière, qu’est Orientations, 2010). Le vent et ses pulsations fantasques rendues sensibles par la présence d’une feuille de papier blanc accrochée devant la caméra, avec les vidéos Éclipses, Chants ou Percées, réalisées en 2014-2015, et où le regard est couvert et dévoilé par à-coup au rythme de ce souffle aléatoire. Cette feuille de papier qui, comme la peau, le fil à coudre ou la plaque de verre, est l’une des surfaces réceptacles qu’utilise Bahri. Réceptacles de fluidités, de capillarités, de dilations, de contiguïtés, ce sont des « intercesseurs » optiques et sensoriels entre l’objet, l’image, la forme et un regard rendu à sa condition de regard, imparfait, incertain, et en attente.
Marjorie Micucci