Née en 1931 à Budapest (HU)
Vit et travaille à New-York (USA)
1977/2012
39 photographies d'archives, noir & blanc, diagramme, texte
20,32 x 25,4 cm chacune
Acquisition: 2011
“L’espace réel est fondamentalement plus fort et plus spécifique que de la peinture sur une surface plane.” 0
“La vie est, à mes yeux, instinct de croissance, de durée, d’accumulation de forces, de puissance : là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin.” 01
Agnes Denes est une artiste américaine qui s’est d’abord inscrite dans l’Art Conceptuel, avant de faire partie du Land Art. À la fin des années 1960, elle en repousse les frontières dans un Art Écologique qui s’étend de la création individuelle à la conscience sociale, une esthétique rousseauiste 1 “éco-logique” confrontant les problèmes liés à l’environnement. Elle se nourrit d’une culture scientifique 2 et de la vigueur de l’art contemporain 3. L’Art et la Science, tous deux vecteurs de connaissances et d’expériences humaines, font œuvre commune pour s’opposer à une civilisation anthropocentrique qui se ferme à la nature, fondée sur l’idée suicidaire et progressiste de son exploitation. Il n’est plus seulement question du paysage comme représentation, mais de Nature-même. L’artiste intervient sur site sous la forme de performances. Elle y développe une métaphore singulière de croissance -mouvement de la vie et évolution permanente.
L’œuvre Rice/Tree/Burial se présente aujourd’hui sous la forme :
- d’un jeu de photographies, chronique de la réalisation de chacun des quatre actes de la pièce ;
- d’un dessin en diagramme triangulaire, le concept de triangulation chez Denes est une philosophie visuelle qui permet de sortir d’une idée classique d’opposition ;
- d’une édition, texte de l’artiste interprétant librement le projet sous forme poétique.
Cependant, Rice/Tree/Burial est avant tout une œuvre grandeur nature, première performance éco-logique publique réalisée par l’artiste à partir de 1968 dans le comté de Sullivan puis rejouée à partir de 1977 à ArtPark 4 près des chutes du Niagara.
Rice/Tree/Burial met en œuvre trois Travaux 5 composant une trinité allégorique d’un cycle de Vie 6.
Dans le premier acte, l’artiste a planté un champ de riz sur une surface d’un quart d’hectare. Il s’agit d’un processus créateur, métaphore de la Terre nourricière, figure maternelle qui donne naturellement vie et substance.
Le deuxième acte se définit en opposition radicale au premier. L’artiste a enchaîné en triangles des arbres ensemble pour contraindre leur croissance. Ils s’adaptent à des forces extérieures à celles de la nature, afin qu’à terme leurs cimes se rencontrent. Les arbres sont un symbole de régénération de la Terre, de puissance de la nature et de destinée, arbres de vie dont ici l’évolution naturelle s’incline sous les fers de l’existence et la seule volonté de domination de l’homme, “maître et possesseur de la nature” 7.
Le troisième acte élabore un mémorial, une “capsule temporelle” enterrée qui ne doit être réouverte qu’après mille ans, composée de haïkus écrits de la main de l’artiste, poésie conceptuelle relative à une problématique formaliste. Dans sa seconde version, un microfilm des différentes réponses à un questionnaire sur l’évolution 8 que l’artiste avait fait circulé autour du monde lors de ses apparitions universitaires. Cet acte final se pose en figure de la civilisation, les racines invisibles de notre monde issues d’une autre forme de culture, que sont la langue, la connaissance, l’écriture, la science, l’abstraction… qui sont des lieux qui nous rassemblent, le chainon manquant entre les deux premiers actes qui fait le lien entre passé, présent et futur, entre la vie et la mort et la vie.
Luc Jeand’heur
0 Donald Judd, Specific Objects, 1965
01 Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 1888
1 Cela fait partie de la nature humaine que d’avoir un besoin de nature.
2 Sciences exactes, sciences naturelles, sciences humaines qui concernent l’Homme, son histoire, son comportement, la langue, le social, le psychologique, le politique
3 Liberté, esprit critique, poésie
4 Parc dédié aux arts vivants et visuels situé à Lewiston dans l’état de New York
5 On peut entendre le sens de ce mot comme celui figuré dans les Travaux d’Hercule, une tâche extraordinaire de longue haleine à la fois mythique, iconographique, symbolique.
6 À ArtPark, l’artiste ajouta une quatrième étape dédiée à la force de la nature en filmant durant sept jours les chutes du Niagara depuis un escarpement en aplomb.
7 René Descartes
8 Par exemple : “Quel est selon vous la fonction de l’humanité ?”, “Si nous sommes le fruit d’un développement, vers quoi ce développement nous conduit-il ?”, etc.