Nées au Danemark (DK) en 1975 pour Nina Beier et en 1976 pour Marie Lund
Vivent et travaillent à Berlin (DE) et Londres (GB)
2009
Performance orale et cartel
durée variable
Acquisition: 2009
Carence et non-lieu constituent le terrain à partir duquel L’empreinte de Nina Beier et Marie Lund prend racine et établit sa cartographie singulière. Non contente de ne jamais se matérialiser de manière définitive et indélébile, les contours qu’elle tente de dresser puisent au cœur des eaux versatiles des désirs, hésitations, errata et autres louvoiements qu’un parcours, une fois achevé, ne laisse que très rarement transparaître. Tandis que le « meilleur des mondes possibles » éclipse les innombrables déclinaisons d’un réel oscillant en permanence au seuil de maintes incertitudes, la proposition du duo d’origine danoise, à une échelle plus modeste, laisse entrevoir le destin à géométrie variable d’une exposition : à chacune qui se concrétise – ce que Sol LeWitt avait déjà statué il y a quarante ans au sujet de l’œuvre d’art –, il “existe” un nombre de versions qui ne le sont pas. Au delà d’une pure expérience de pensée propre à l’espace littéraire, philosophique ou à la recherche scientifique hautement spéculative, ~L’empreinte investit l’interstice d’un conditionnel révolu : non pas « ça-a-été » (Roland Barthes pour la photographie, autre empreinte au demeurant), ni même « ça-peut-être » (Edmond Couchot et l’image de synthèse), mais « ça-aurait-pu-être ». Sans que ne soient évoquées les raisons motivant une telle lacune (des plus pragmatiques aux plus intimes, en passant par celles qu’impliquent n’importe quelles décisions curatoriales : budget, indisponibilité, refus, pertinence, censure, doutes, errements, etc.), ce qui est écarté, ce qui manque, ce qui est omis ou occulté, vient hanter en sourdine le lieu de son absence. Néanmoins, l’empreinte à l’œuvre ici ne se réduit pas à une trace rémanente imprégnant l’exposition du spectre de ses possibles : elle suggère une corrélation avec l’une des pratiques artistiques les plus anciennes. Ephémère ou durable, toute empreinte témoigne d’un élan initial donné à un matériau : au même titre que le pied informe l’argile qu’il fait ployer, telles les traces de pas laissées en des temps préhistoriques sur le sol de la grotte de Foissac, la main promenée à la surface de l’eau imprime le souvenir provisoire de son passage parmi les ondes qui s’y modulent, telle la phrase inscrite en 1973 par Maurizio Nannucci sur les eaux de l’Arno pour Scrivere sull’acqua. Lointain écho de l’impression divine mouvant un paradis dantesque, L’empreinte se transmet quant à elle d’esprit à esprit. Matière sémantique dont nulle trace écrite n’assoit la réminiscence (communiquée une première fois au personnel chargé de l’accueil au sein de la structure dans laquelle elle se voit réactivée, aucune note ni recherche ultérieure au sujet des œuvres éludées ne sont admises), elle se propage de bouche à oreille. À partir de son motif d’origine, se trame ainsi un scénario à focales multiples. Dans une logique de deuxième main, l’empreinte impulsée se redessine sans cesse en fonction de l’attention, des connaissances, des centres d’intérêts et de la mémoire de ceux qui croisent son faisceau. Le moindre intermédiaire agit comme un « modulateur », faisant « varier dans le temps », selon Gilbert Simondon, « l’actualisation de l’énergie potentielle d’une source ». De loin en loin, le matériau initial se démultiplie au même moment où il s’étiole, se perd ou se renouvelle au travers de palingénésies inattendues, inscrivant L’empreinte dans une résonance et une durée, si ce n’est infinies, du moins indéfinies.
Arnaud Dejeammes