Né en 1940
Vit et travaille à Woodridge (NY, US)
1982
Œuvre orale
Acquisition: 2008
L’œuvre de Ian Wilson ne fait pas l’économie de la radicalité tant elle remet en question toutes les valeurs de la conscience esthétique et tente de détourner l’idée selon laquelle l’art trouve une forme d’achèvement dans l’objet. Car précisément, l’objet artistique de Ian Wilson tient dans l’immatériel, dans le « dématérialisé », dans « la communication orale en tant que forme d’art » : les discussions.
« Si l’on réfute l’idée selon laquelle l’art est une sous-catégorie d’objets, mythe que perpétue son usage comme marchandise, en faveur du point de vue selon lequel il est une sous-catégorie d’informations, écrit Victor Burgin, alors il apparaît que le contexte de l’art est un complexe d’informations dans lequel l’aspect génératif et transformationnel de l’expérience en temps réel doit être pris en compte 1». C’est précisément cette dynamique de l’œuvre qui constitue le cœur du projet artistique de Ian Wilson.
D’abord peintre au début des années 1960, Ian Wilson expérimente un langage formel minimum (voire minimal) qui l’orientera naturellement en 1966 vers la réalisation de monochromes. Il poursuit par ailleurs des recherches qui mêlent la peinture et la sculpture et conduisent à un dépouillement toujours plus grand. Peu à peu, il abandonne toute forme de matérialité pour se focaliser sur le concept. Dès 1968, au côté d’artistes tels que Lawrence Weiner, Joseph Kosuth, Douglas Huebler ou Robert Barry, il participe aux principales expositions conceptuelles, notamment celles conçues par Seth Siegelaub. Contrairement au travail de L. Weiner, les œuvres de I. Wilson se dégagent des énonciations pour inscrire l’acte de discussion comme seule forme artistique. Il s’agit pour lui de s’extraire de tout rapport à l’objet ou à la représentation pour faire apparaître la seule matérialité du langage qu’il appréhende alors comme un sujet à sculpter : « Je ne suis certainement pas un poète, je suis un piètre écrivain, c’est probablement pour cela que je parle de communication orale. Je ne suis pas poète et j’envisage la communication orale comme une sculpture.2» Pour Ian Wilson, l’idée prévaut sur la présence physique d’un objet, et le mot peut se substituer à la matérialité et englober les caractéristiques essentielles d’un objet. En ce sens, son œuvre s’envisage comme une organisation de formes idéelles. Partant de cette analyse, il a choisi de ne rien créer d’autre que les conditions d’une parole.
L’œuvre Time (spoken) (1982) acquise par le Frac Lorraine est considérée comme l’une de ses premières œuvres totalement dématérialisée et libérée de la présence de l’artiste lui-même. La notion de temps, en ce qu’elle renvoie à une connaissance à la fois partagée et subjective, devient pour I. Wilson un sujet d’étude et un prétexte engageant l’échange. Quand en 1968, on l’interrogeait sur la nature de sa pratique, il répondait que son intérêt se portait sur le mot « temps » parlé 3.
Si l’origine de la pièce de Ian Wilson remonte à l’année 1968, l’œuvre du Frac Lorraine, dans sa forme d’instruction, date, elle, de 1982. Cette année-là, lors de l’exposition À Pierre et Marie, une exposition en chantier 4, I. Wilson « montre » pour la première fois une version basée, non plus sur sa présence physique, mais sur une consigne. Ne faisant pas le voyage jusqu’à Paris, il demande aux artistes qui occupent l’église désaffectée dans laquelle se déroule l’exposition de réaliser l’œuvre pour lui quand les visiteurs s’interrogent sur sa pièce :
« En quoi consiste Temps de Ian Wilson ?
C’est le mot temps parlé »
Time (spoken) (1982) se manifeste alors à travers la curiosité relative à la nature même de l’œuvre. Son absence apparente oblige à s’adresser à l’autre, à engager le dialogue et à réfléchir sur ce qui fait le réel. Elle occupe indiscutablement une place particulière dans la production de Ian Wilson. D’abord discussion, elle se dégage peu à peu d’une certaine forme d’autorité pour s’inscrire dans un partage dépassant la seule figure de l’artiste. Que le mot « temps » soit prononcé comme une œuvre ou non n’a finalement que peu d’importance pour Ian Wilson. C’est le fait que l’œuvre puisse être réalisée partout et par tout le monde qui l’intéresse. Seule la parole semble compter. Cette mise en retrait caractérise assez bien la posture de l’artiste qui déclare avec une forme de perspicacité : « L’acte de discussion est sans doute plus important que ce que j’ai à dire ».
Guillaume Mansart
Critique d’art
1 Victor Burgin in Publication (David Lamelas) p.10-12, Nigel Greewood Inc. Ltd, 1970. Reproduit dans Art conceptuel, une entologie, sous la direction de Gauthier Hermann, Fabrice Reymond et Fabien Vallos, éditions MIX, Paris, 2008
2 In Lucy Lipard, Six years : The Dematerialization of the Art Object 1966 to 1972, University of California Press, 1973
3 « I would be at a gallery opening and someone would ask me: ‘so what are you doing these days?’ I would reply, ‘I am interested in the word time.’ Later, someone would ask: ‘But how can time be your art?’ And I might have replied: ‘As it is spoken, “time”’. Another day, someone might have asked, having heard I was using ‘time’ as my art: ‘So what are you working with these days’ and I would reply: ‘“time” I am interested in the idea’…. I like the word when it is spoken: ‘time’. And so the word was used over and over again. » Reproduit dans Anne Rorimer, New Art in the 60s and 70s. Redefining Reality, Thames & Hudson, London, 2001, p. 91
4 À Pierre et Marie, une exposition en chantier, un projet singulier de deux ans (1982-1984) conçu par Michel Claura (qui y invite Ian Wilson), Sarkis, Daniel Buren, Jean-Hubert Martin, Selman Selvi. À Pierre et Marie se basait sur le temps (celui de la destruction annoncée du lieu dans laquelle elle était montrée, celui de la production de l’œuvre…) et sur un processus toujours en cours sortant des schémas classiques des calendriers d’expositions.