Né en 1935 à Paramaribo (SR)
1998
briques, béton, plâtre, peinture
26 x 26 cm
Acquisition: 2006
Figure essentielle liée à une première génération d’artistes conceptuels, Stanley Brouwn cultive une œuvre rigoureuse et discrète qu’il accorde à une attitude pudique et retenue. Le fait qu’il n’assiste que très rarement aux vernissages de ses propres expositions, ou qu’il refuse l’édition d’ouvrages monographiques le concernant, pourrait relever de la simple anecdote si cela ne signalait pas la ligne d’une philosophie fondée sur l’adéquation d’une œuvre et d’une vie. « L’œuvre de Stanley Brouwn n’a pas été commentée à la demande même de l’artiste qui nous indique « ne travailler ni avec des textes, ni avec des images » », peut-on lire dans un catalogue de collection. Partant de là, ce travail pourrait être défini dans sa dimension conceptuelle et renvoyer alors à une certaine austérité formelle. Pas d’image ni de texte, mais une relation au monde qui se qualifie constamment, à travers la marche par exemple, et se quantifie méthodiquement, par un système de mesure spécifique notamment.
Dire que le pied, en tant que partie du corps en frottement constant avec la surface du sol, peut être lu, dans son travail, comme une sorte de métaphore du lien de l’homme à l’univers, serait sans doute excessif tant ce rapport (tout comme cette œuvre) est multiple et complexe. Cependant, ce n’est pas sans un certain humour et sans intérêt pour ce point de convergence physique, qu’il décide dans un geste artistique résolument post-duchampien de faire œuvre, en 1960, de tous les magasins de chaussures d’Amsterdam. À cette même époque, il réalise également une série de « dessins concrets » composés par les traces aléatoires laissées par les chaussures des passants sur de grandes feuilles de papier blanc.
Peu à peu, la trajectoire et l’inscription d’itinéraires deviennent les « motifs » essentiels de son travail. C’est ainsi qu’en 1962, il réalise des œuvres au titre programmatique telles que A walk through a grass field, puis A walk during one week et A walk from a to b. Cette dernière pièce s’articule d’ailleurs à la série This way Brouwn (1960-1964), un ensemble de dessins sans qualité, tracés par des passants auxquels l’artiste demande son chemin. À travers cette série comme à travers ses marches, c’est une exploration de la notion d’espace vécu qu’il engage. Intervenant dans la rue, il crée des situations et recontextualise l’art dans la sphère sociale. La qualité expérimentale et la sobriété de ces œuvres, dégagées de leurs artifices et de leurs conventions, semblent vouloir affirmer le rapport étroit de l’artiste au réel.
À partir du début des années 1970, Stanley Brouwn matérialise sa relation à l’environnement en entreprenant une classification méticuleuse de ses déplacements. Remettant en question les systèmes de mesure traditionnels, il crée des étalons se rapportant à des parties de son corps (son pied, son pas, son coude). « Je suis devenu une distance », dit-il alors. L’artiste réfute la norme en lui opposant une approche subjective du réel, il ramène ainsi l’homme au centre d’une organisation structurelle abstraite.
1 × 1 foot (1998) est un carré dont la longueur d’un côté est égale à la longueur du pied de Brouwn. Tracée sur le mur, l’œuvre comprend également les matériaux qui composent ce support : brique, béton, plâtre, peinture. Si cette pièce peut évoquer A 36’’ x 36’’ Removal of Plaster Lathing from a Wall (1969) de Lawrence Weiner, elle se dégage néanmoins du geste (réalisé ou non) pour souligner l’appropriation physique du contexte. Stanley Brouwn présente ici un carré de monde réel délimité par la présence induite de son corps.
Fondée sur une mathématique terrestre, l’œuvre 1000 mm 881 mm 864 mm (1974) se présente quant à elle comme le lieu de l’expérience de la retranscription du système métrique. Adoptant une esthétique que l’on pourrait qualifier d’administrative (casier métallique, fiches), elle explicite un désir de classification et de conservation et renvoie formellement à un matérialisme radical. Sur chacune des mille fiches de 1000 mm 881 mm 864 mm figure la représentation d’un millimètre. Les notions de multitude et d’infini se trouvent ainsi enregistrées ici dans l’expérience de l’écriture d’un mètre.
Dans 1m – 1 step (1985), le système de mesure sensible (fondé sur l’expérience du corps) et le système de mesure normatif se confrontent encore. Qu’elles soient disposées en suivant les lignes horizontale et verticale d’un espace ou qu’elles soient posées côte à côte contre un mur, les barres d’aluminium qui composent l’œuvre indiquent la tension entre ces deux systèmes. La première barre d’un mètre de longueur est mise en regard de la seconde qui annonce 73,6 cm. C’est paradoxalement l’absence de matière qui indique une présence puisque la distance manquante correspond à la longueur du pied de S. Brouwn.
Représentatives de l’exigence conceptuelle et de la radicalité qu’elle induit, les œuvres de Stanley Brouwn acquises par le Frac Lorraine révèlent la constance et l’évolution d’une pratique résolument tournée vers la question de l’expérience du réel et de sa matérialisation pure.
Guillaume Mansart