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Roman Signer

Né en 1938 à Appenzell (CH)
Vit et travaille à Saint-Gall (CH)


Horizont

1973
Photographie n&b sur papier baryté
36 x 24 cm
Acquisition: 2006


Pour cette œuvre, à mi-chemin entre land-art, sculpture minimale et readymade, Roman Signer a placé sur la pente d’une berge une boîte de plexiglas cubique, à moitié remplie d’eau puisée dans le fleuve en aval. La photographie Horizont (1973) témoigne de cette situation temporaire, soulignant la ligne horizontale de l’eau qui dévie de la pente naturelle suivie par les autres éléments du plan. Emblématiquement, cette image témoigne de l’une des premières fois où l’artiste quitta son atelier pour travailler directement dans la nature, selon un principe d’intervention à la fois discret et volontariste, qui sera sa marque de fabrique. De fait, il s’agit le plus souvent, comme ici, d’utiliser et manifester les éléments et les forces naturelles d’un paysage en les soumettant à des matières et objets rapportés. Dans Horizont, l’eau a donc quitté son lit et son flux pour s’immobiliser un instant dans ce contenant géométrique, dont elle conteste avec une tranquille détermination l’inclinaison. Le paysage montagnard se trouve ainsi transformé par cette intervention minimale, et presque transparente. Deux perspectives s’opposent donc, la ligne d’horizon liquide et invariablement linéaire, et la surface du relief définie par l’accident et l’irrégularité. Universalité horizontale contre contingence de la nature. Logos contre cosmos. L’horizon, défini comme la « ligne imaginaire circulaire dont l’observateur est le centre et où le ciel et la terre ou la mer semblent se rejoindre », est ici concrètement signifié. Dès lors, il y a quelque chose de vaguement romantique dans cette ligne parfaite opérant comme un horizon en boîte. Si l’eau a souvent été utilisée par l’artiste, ce n’est généralement pas comme élément stable et figé, mais plutôt susceptible de fuser, se répandre ou s’évaporer. Organique et fougueuse, elle jaillit par exemple d’une paire de bottes, projetée par des explosifs le temps d’une photographie (Wasserstiefel, 1986). Neigeuse et solide, elle forme une flaque fondant progressivement, dont le contour est redessiné au sol (Schneefleck, 1979). Horizont, version pacifiée d’un jeu récurrent sur la pesanteur, témoigne de proximités initiales de Signer avec l’art conceptuel, rappelant des œuvres historiques comme le Condensation Cube (1963-1964) ou les vagues de Wave (1964-1965) de l’américain Hans Haacke.
Mais à y regarder de plus près, l’œuvre n’est pas si figée ni paisible, mais fait plutôt montre d’une dynamique potentielle. Le niveau élevé de l’eau est proche de faire basculer le cube. L’eau alors déversée, irait reprendre son cours. Horizont rappelle une constante physique : où qu’elle soit, l’eau incarne le niveau potentiel d’une multitude d’horizons parallèles et imaginaires. L’artiste explique ainsi avoir « imaginé que le fleuve pourrait monter jusqu’à cette hauteur lors d’une crue des eaux ». Il ajoute qu’ « en pensée, on peut projeter cette ligne jusqu’à l’autre rive ». Avec une redoutable efficacité, et un certain sens de la dérision, cette œuvre dévoile donc a minima les forces cachées de l’univers, et la manière dont les lois physiques peuvent contredire la logique visuelle. Magie simple, qui opère comme un écho à la création artistique en ce qu’elle dévie le sens de ce qui est montré, emprunte des tangentes, et joue d’une insoumission à l’habitus du regard. Comme le disait Marcel Duchamp, l’art est comme l’électricité ; on en connait les effets, mais on ne sait pas ce que c’est. Idem pour la pesanteur et la mécanique des fluides.

Guillaume Désanges