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Catharina Van Eetvelde

Née en 1967 à Gand (BE)
Vit et travaille à Paris (FR)


Cruise (Sluice Chapter V)

2003
Film d'animation, couleur, sonore
Texte : Abigail Lang
Durée : 8'
Acquisition: 2004


first – water – and memory – where land once was1

C’est par ces simples mots (ceux d’Abigail Lang) que débute la surprenante croisière à laquelle nous convie Catharina Van Eetvelde. Un voyage qui du dessin d’une imaginaire Pangée unique à la retranscription de multiples données concernant la Belgique, la Nouvelle-Zélande ou le Saint-Siège, propose un regard poétique sur la globalité d’un monde orthonormé.

1300 dessins s’animent pour constituer une vidéo de 8 minutes, dans laquelle des cartes émergent, des terres se brisent, des territoires flottent… Le trait est aussi léger que précis, il affiche une rigueur scientifique qui se lit d’abord comme une information puis dessine les contours d’une complexe narration. L’événement humain est largement éclipsé par la convention des données brutes, topographie, démographie, économie… Le projet est ambitieux : alors que l’œuvre se déroule contre le mur sur lequel elle est projetée, il apparaît comme une relecture du monde à travers les signes de sa cartographie. Plutôt qu’une histoire, Cruise est une géographie sensible.
La carte géographique est un système sémantique qui traduit une réalité définie en informations pures. Simulacre autoréférentiel, elle synthétise et modélise puis articule des codes spécifiques pour traduire un territoire délimité. La carte est un ensemble de signes qui propose d’inscrire une représentation du monde dans une planéité totale (le géoïde2 s’écrase en planisphère). Paradigme manifeste d’une maîtrise de l’espace, elle est l’instrument d’une rationalisation et participe ainsi à l’achèvement du monde : « Le crime parfait, écrit Baudrillard, c’est celui d’une réalisation inconditionnelle du monde par actualisation de toutes les données, par transformation de tous nos actes, de tous les événements en information pure – bref : la solution finale, la résolution anticipée du monde par clonage de la réalité et extermination du réel par son double. »3 Cruise apparaît alors comme un détournement. Car Catharina Van Eetvelde, en s’accaparant l’outil de cette réalisation mortifère, se dégage de cette volonté d’exhaustivité littérale pour entraîner son sujet sur le terrain parcellaire de l’imaginaire. Elle dévie les codes de la cartographie pour dessiner un espace mental.
Dans son œuvre, pas de localisation triangulaire en x y et z, la ligne équatoriale sert de fil sur lequel viennent s’arrimer quelques territoires à la dérive. Les repères cartésiens ne suffiront pas à situer cette terre flottante tractée, comme un paquebot au port, par un territoire / remorqueur battant pavillon norvégien. À la constitution du monde, Catharina Van Eetvelde préfère l’assemblage d’un monde. Le globe retrouve une sorte d’origine maritime. Sur l’étendue des mers, des continents éclatés se mêlent au gré des courants. La carte n’a plus d’épicentre, elle a succombé à une force centripète qui la redéfinit comme une surface ouverte, plate-forme globale constituée de flux.

La problématique cartographique a nourri une partie de l’histoire de l’art du XXe siècle4. Des surréalistes à Jasper Johns en passant par Alighiero e Boetti, elle a été au cœur de multiples pratiques. Parfois cadre d’ex-périmentation graphique5, d’autres fois objet pensé en terme de surface plane6, ou en tant que symbolisation politique7… l’art a disséminé ses sens possibles. À travers Cruise, Catharina Van Eetvelde montre que cette géographie rationnelle est avant tout un objet métonymique à déconstruire. Elle propose alors une croisière sans destination prévue, un paradoxal voyage «atopique» libéré de l’omnipotente grille des coordonnées.

Guillaume Mansart

1 d’abord – l’eau – la mémoire – où était la terre

2 Ce qu’il faut savoir : La Terre est un géoïde proche d’un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles d’un taux de 1/298,5, ce qui correspond à un rayon polaire de 6356,752 km, plus court de 21 km environ que le rayon équatorial égal à 6378,136 km.

3 Jean Baudrillard, Le crime parfait, Galilée, Paris, 1995.

4 Voir à ce propos : Christine Buci-Glucksmann, L’œil cartographique de l’art, Galilée, Paris, 1996.

5 Max Ernst redessinant les courbes de la Loire les transformant en celles d’une femme…

6 Jasper Johns reprenant la carte des États-Unis en tant qu’image plan…

7 Alighiero e Boetti brodant les cartes parues à la une de journaux…