Née en 1963 à Mortsel (BE)
Vit et travaille à Bruxelles (BE)
2000
Installation
Diapositives synchronisées, livre
Dimensions variables
Acquisition: 2001
L’installation DU MENTIR-FAUX, projection de diapositives accompagnée d’un livre, nous montre une longue série de portraits en noir et blanc d’une même jeune femme. Son visage exprime la douleur. Entre les images s’intercalent parfois des diapositives de textes : des questions. Quelque chose dans la pose, le style, la coupe de cheveux de cette jeune femme, qui pourtant n’est pas «costumée», fait naître les soupçons qu’un premier regard sur le livre confirmera : nous nous trouvons devant un portrait de Jeanne d’Arc – thème auquel Ana Torfs avait déjà consacré, en 1988, une courte vidéo. Les questions qui tourmentent la protagoniste s’avèrent être extraites des compte-rendus des procès menés contre Jeanne d’Arc par l’Inquisition au XVe siècle. Le livre comporte un essai introductif de Dirk Lauwaert, une sélection – faite par Ana Torfs – d’extraits de ces procès, ainsi qu’un texte autobiographique où elle témoigne de sa fascination pour le personnage de Jeanne d’Arc : non pas le symbole politique ou national, mais la victime bien physique, rebelle et finalement sans défense, d’un système surpuissant. Il est intéressant de voir la forme donnée par l’artiste à cette partie du livre : à la manière des manuscrits médiévaux, le texte principal où Torfs explique la genèse de l’œuvre et la manière dont le processus créateur s’imbrique dans son histoire personnelle, est accompagné de «gloses» en caractères plus petits. Le rapport entre ces deux «niveaux» n’est pourtant pas tout à fait ce à quoi nous pourrions nous attendre : non seulement les «commentaires» sont le fait de l’auteur elle-même, mais le texte central, de par son caractère intime, tient sans doute plus du «commentaire» ou de l’«interprétation» que les gloses qui l’entourent et qui, souvent, apportent plus de données factuelles. Passant d’un texte à l’autre, le lecteur finit par se rendre compte que toute tentative sincère d’«interpréter» des «faits» est ici vouée à l’échec. Jeanne d’Arc nous apparaît, fuyante, au cœur d’un enchevêtrement de récits, de témoignages et d’interprétations tendancieuses d’où jamais une «vérité» n’émergera. Reste une série de questions: non pas celles – perverses – des inquisiteurs qui d’emblée «savent», mais des questions ouvertes, qui devront rester sans réponse. Mais alors, qui est-ce, la Jeanne d’Arc des diapositives ? À mesure que les portraits défilent, le processus d’identification où s’était engagé spontanément le spectateur, s’épuise. Le cadre épuré, l’extrême simplicité de la pose finissent par nous renvoyer à ce qu’un instant nous risquions d’oublier : une jeune actrice a été invitée… à faire semblant. Le titre même de l’œuvre évoque déjà cette tension entre fiction et réalité vécue. DU MENTIR-FAUX ne fait pas seulement allusion, de manière parodique, au style tautologique des textes médiévaux, style si énigmatique aux yeux du lecteur d’aujourd’hui (en effet, les persécuteurs de Jeanne d’Arc se servent sans cesse d’expressions telles que «fiction mensongère» ou «feindre mensongèrement»), il renvoie également au titre d’une nouvelle de Louis Aragon intitulée
Le mentir-vrai. L’auteur y évoque des souvenirs d’enfance et réfléchit au fait qu’une telle entreprise, inévitablement, se teinte de fiction: «Je crois me souvenir, je m’invente.» Dans son essai, Dirk Lauwaert lui aussi traite de l’histoire vraie comme fiction, tout en observant que, dans le cas de Jeanne d’Arc, cette fiction laisse apparaître une autre «vérité» : «L’histoire de l’héroïne est toujours une histoire reconstituée et, en conséquence, une histoire ‹faussée› (ou une histoire enfin ‹dûment› racontée). L’histoire dûment racontée livre aux gens la preuve.» En prenant Jeanne d’Arc pour objet de ses recherches, Ana Torfs poursuit sa réflexion sur une série de thèmes qui sous-tendent l’ensemble de son œuvre, à savoir le rapport entre texte et image, ou entre lecture et imaginaire, la problématique du portrait (est-il possible de saisir dans un portrait une vérité du modèle ?) et – par extension – la tension entre fiction et réalité.
Catherine Robberechts