Né en 1965 à Grenoble (FR). Vit et travaille à Paris (FR)
2008
Carte topographique, impression sur papier.
Co-production CAC Vilnius, Platform Grand Est, 2008.
66 x 90 cm
Acquisition: 2011
L’île de la Déception (62°57°S 60°36°W) est située aux portes de la Péninsule Antarctique. D’origine volcanique, elle est constituée en majeure partie d’une baie centrale, ouverte sur l’océan par un étroit goulot.
L’origine de son nom se perd dans les légendes. Si l’île fut découverte en novembre 1820 par le navigateur américain Nathaniel Palmer, le « deception » anglais est un faux ami en français : il signifie non pas notre romantique « déception » mais bien la dissimulation et la tromperie. Et renvoie peut-être ainsi à l’aspect triste et sombre des côtes recouvertes de sable noir ou à l’accès difficile et masqué de la baie, traversé en son centre par un pic affleurant le niveau de la mer. Quoi qu’il en soit, il ne peut que nous rappeler le caractère sans fin, utopique et déceptif de l’aventure, de la conquête de soi et du monde, où la réalité n’est pas toujours à la hauteur de l’imaginaire.
Nombre d’œuvres de David Renaud prennent la forme de cartes, maquettes ou plans-reliefs, constituant peu à peu un atlas multiforme. Nul besoin de pays fantaisiste pour donner pied à notre imagination. L’artiste se contente de nous faire (re)découvrir des espaces inhabités ou désertiques « où rien n’advient que le champs inépuisable et jamais réalisé des possibles »1, à nous laisser rêver sur des destinations aux noms évocateurs, à nous laisser donner corps et sens à des aplats de couleur, à des espaces infinis, à des creux et des vides qui tous renvoient à une histoire humaine.
À l’origine de Deception Island, il y a aussi Edgar Allan Poe et ses Aventures d’Arthur Gordon Pym, un roman d’aventure publié en 1838 comme le récit d’une authentique expédition au pôle sud, comme la quête tragique et inexorable d’un rêveur se laissant engloutir dans ses fantasmes. À cette époque, les théories les plus fantaisistes sur l’existence et la nature des pôles circulent. Poe est d’ailleurs fasciné par la théorie des sphères concentriques de Symmes (1826) selon laquelle « la terre était composée de cinq sphères creuses concentriques, une ouverture de 4 000 miles de diamètre assurant le passage des eaux à chaque pôle. L’ouverture était entourée de glace, mais l’intérieur était chaud à cause du feu central. Ce qui expliquait le Gulf Stream entre autre chose.» 2 On a beaucoup reproché à Poe la fantaisie de son récit : plus ses marins s’approchent du Pôle sud, plus la mer et l’atmosphère deviennent étonnement chaudes. L’île de la Déception est justement fameuse pour ses sources géothermales où la température peut grimper jusqu’à 70°C, la réalité dépassant alors l’imaginaire…
Eléonore Jacquiau Chamska
Source : David Renaud, Éditions de l’OEil, Paris, 2009
1 Jean-Yves Jouannais, « David Renaud. De la cartographie comme cartomancie », in cat. David Renaud, Éd. de l’oeil, 2009
2 cf préface de Jacques Cabau, in Edgar Allan Poe, Aventures d’Arthur Gordon Pym, Paris: Gallimard folio, 2007.