Née en 1918 à Fort Dodge (US). Décédée en 1986 à Boston (US).
1967
Sérigraphie sur papier. Texte extrait de la chanson éponyme des Beatles.
58,5 x 89 cm
Acquisition: 2016
Ces 8 sérigraphies ont été réalisées entre 1967 et 1969 par Corita Kent. Corita Kent était tout à la fois professeur, artiste, activiste et nonne. Son œuvre composée de plus de 800 pièces porte le parcours d’une femme engagée qui cherche à travers l’art un moyen d’expression et de partage vecteur d’espoir.
Formée à Los Angeles au collège Immaculate Heart, c’est là qu’elle enseignera pendant vingt années dans le département artistique, entre 1947 et 1967. En pleine apogée de la culture de masse et de la consommation, Corita Kent commence ses premières sérigraphies en 1951. C’est un matériau parfait car il lui permet à la fois de travailler de manière collective et de diffuser de manière large et peu onéreuse un message artistique. Comme la « Factory » de Andy Wahrol (ses premières sérigraphies, comme Marilyn, datent de 1962), Corita Kent a sa classe : les élèves contribuent chacun à leur manière à un processus artistique solidaire. A rebours d’une vie confinée, Corita Kent aime la ville et sa culture urbaine faite de signes et de slogans. C’est d’elle qu’elle s’inspire et qu’elle rencontre avec son travail. Les sérigraphies se diffusent ainsi d’abord dans l’espace public et non dans des musées ou galeries, parfois dans des contextes activistes.
La spécificité de la démarche activiste de Corita Kent est visible à partir de ses sérigraphies. Pas de noirceur, mais de la couleur, allant même jusqu’au fluo. Des textes (des citations de poètes, d’activistes, de la bible, des articles de journaux, des écritures personnelles) qui, s’ils évoquent une douleur, portent toujours une joie, ou de l’espoir. Pas de géométrie fermée, mais des lettrages ondulants qui assouplissent l’espace rigide de la feuille et de l’alphabet. C’est une ouverture aux tons pop, esthétique naissante de l’époque, tout en essayant de maintenir une radicalité dans le propos. On le voit dans Love at The End (1969) où elle a invité son ami et collègue Dan Berrigan, premier prêtre catholique arrêté dans l’histoire des États-Unis. En pleine guerre du Vietnam, il lui propose deux articles qui critiquent les dépenses de l’État en faveur de l’armée, face à l’augmentation de la pauvreté et la souffrance au Vietnam. Dans le mouvement général de la page, c’est un cœur rouge qui est central. « Toujours pauvres » est écrit en bas, mais « love, love at the end » est inscrit au centre. Amour encore dans la sérigraphie verte et rouge de E Eye Love (1968) : un œil regarde et – par le jeu de mot -, aime (I Love). En dessous est écrit une citation de l’écrivain Albert Camus « [je] devrais pouvoir aimer mon pays et toujours aimer la justice ». On sent ici tout le tiraillement du travail de Kent, entre la nécessité de constater un contexte politique et social douloureux (regarder), et la volonté de rester positifs (aimer). De même pour I’m glad I Can Feel Pain (1969) qui évoque l’assassinat de John Kennedy. Une image du président est sérigraphiée en fond vert et déchirée en deux pour ouvrir au centre de la page un texte écrit à la main où Kent raconte avec simplicité ses émotions et pensées sur cet événement tragique.
Kent ne produira pas toute sa vie des œuvres aussi directement activistes. Ces pièces sont emblématiques d’une période de transition où, quittant le collège Immaculate Heart qui critiquait son engagement politique, Kent pris à bras le corps ce combat. Elle évoquera ensuite une certaine fatigue de l’art comme « déclaration », préférant plus tard des aquarelles engageant des « conversations ». Art et politique sont deux domaines aux dynamiques étranges d’attraction et de répulsion. Nombreux sont ceux qui tentent de trouver la bonne alliance afin que chacun garde sa force radicale (Hans Haacke, Group Material, Felix Gonzalez-Torres, Daniel Buren, Rikrit Tiravanija, etc.), et essaient de multiples stratégies. Corita Kent s’inscrit dans cette lignée, avec une force populaire qui apportera beaucoup au dehors du milieu souvent restreint de l’art contemporain.
Flora Katz